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Monsanto traduit en justice

26.07.18 Editorial
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Le procès Dewayne Johnson contre Monsanto a commencé en Californie, au tribunal fédéral de San Francisco, deux ans et demi après le début des poursuites. Johnson, dont les docteurs ne sont pas optimistes sur le pronostic vital, a commencé à travailler comme jardinier dans un établissement scolaire en 2012. Ses attributions incluaient l’utilisation régulière de l’herbicide Roundup de Monsanto, dont l’ingrédient actif est le glyphosate. En 2014, à l’âge de 42 ans, on lui a diagnostiqué un cancer du sang rare : le lymphome non hodgkinien.

Cette affaire est hors normes à de nombreux égards. Le président du tribunal a autorisé les jurés à prendre en considération les éléments de preuve relatifs aux efforts de Monsanto pour dissimuler la toxicité potentielle du produit pour rendre leur verdict. Outre l’affaire Johnson, près de 4000 plaintes selon lesquelles l’exposition au glyphosate aurait entraîné un lymphome non hodgkinien ont été déposées devant les tribunaux américains. Presque toutes les grandes entreprises agrochimiques proposent une formulation de glyphosate. La société Monsanto est aujourd’hui entièrement détenue par l’entreprise allemande Bayer. La responsabilité potentielle des fabricants de glyphosate est donc particulièrement étendue.

Johnson soutient que Monsanto aurait « mis en avant des données falsifiées et attaqué des études légitimes » sur les effets toxiques du glyphosate, et mené une « longue campagne de désinformation » visant à persuader les gouvernements, les consommateurs et les agriculteurs de l’innocuité de leur produit.

Depuis leur première mise sur le marché, dans les années 1970, Monsanto affirme que ses formulations de glyphosate sont sans danger. La promotion de ces produits s’est intensifiée dans les années 1990 lorsque les ventes de glyphosate ont explosé avec l’introduction par Monsanto de variétés génétiquement modifiées de soja, de maïs, de coton, de colza et de betterave à sucre spécialement conçues pour être résistantes au glyphosate. La campagne de désinformation s’est intensifiée après la publication par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la Santé, en mars 2015, d’un rapport classifiant le glyphosate comme « cancérigène probable pour l’homme ».

Des documents internes de Monsanto, obtenus par les avocats de Johnson, ont été rendus publics en mars 2017 dans le cadre d’une procédure préalable au procès. Le l’enquête « Monsanto Papers » (disponible ici), publié par le journal Le Monde en juin 2017, s’appuie sur ces documents. D’autres documents ont été déclassifiés et rendus publics en août 2017 et sont disponibles ici )

Les « Monsanto Papers » documentent un système grassement financé visant à porter le discrédit sur le travail du CIRC et en étouffer le financement, à travers un réseau de propagandistes, les groupes de façade et de « think tanks » de droite entretenant des liens avec les secteurs de l’industrie chimique, agrochimique et agroalimentaire et leurs lobbyistes. Monsanto a menacé des scientifiques indépendants, fait publier des articles commandités dans des publications scientifiques par des prête-noms, exercé des pressions et tenté de s’infiltrer, souvent avec succès, à tous les échelons des organismes de réglementation. Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump et la détermination de l’Agence américaine de protection de l’environnement à éradiquer la protection des consommateurs et des travailleurs ainsi que la réglementation environnementale, la campagne a muté en un assaut d’envergure contre la santé publique, la toxicologie et la recherche sur le cancer. Les « Monsanto Papers » retracent les liens organisationnels entre l’opération glyphosate et les efforts de l’entreprise pour combattre la réglementation relative aux autres toxines présentes sur nos lieux de travail et dans nos vies.

Monsanto a étendu son offensive et tente de faire taire les critiques de la société civile. Plus tôt cette année, aux États-Unis, à l’occasion d’un procès similaire, les avocats de Monsanto ont exigé que l’organisation de campagne en ligne Avaaz remette, et ce « sans limitation », toutes les communications internes faisant référence à la société Monsanto ou au glyphosate.

Les députés européens ont organisé une audition extraordinaire en octobre dernier pour évaluer les processus d’examen réglementaire de l’Union européenne au regard de la première livraison des documents Monsanto Papers. Cela n’a pas suffi à prévenir la réautorisation de l’utilisation du glyphosate un mois plus tard. À présent que de nouveaux documents ont été dévoilés, les auditions devraient reprendre, en Europe comme ailleurs dans le monde.