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Pourquoi Tiananmen est important

19.06.14 Editorial
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Le 4 juin, près de 180.000 citoyens de Hong Kong ont pris part à la commémoration  du massacre de la place Tiananmen, comme d’habitude avec le soutien et la participation enthousiaste de la Confédération des syndicats de Hong Kong (HKCTU), la seule organisation syndicale indépendante de la Chine. Sur le continent, les forces de sécurité s’étaient préparées à cet anniversaire par une vague d’interpellations préemptives dans tout le pays et en purgeant l’internet et les médias sociaux de toute références aux événements de 1989.

Pourquoi donc le 4 juin, qui marque à la fois la répression brutale d’un mouvement de masse en faveur de la démocratie et la réémergence d’une action ouvrière indépendante en Chine, a-t-il été autant minimisé, voir oublié, en dehors de la Chine ?

June42014

            Hong Kong, le 4 juin 2014

Les économies mondiales les plus riches dépendent aujourd’hui des entreprises et du gouvernement chinois pour dégager des retours confortables sur investissements et assurer un flux constant de biens de consommation importés et bon marché pour financer leurs retentissants échecs sociaux. Nous devons nous attendre – sans pour autant l’accepter – que cette dépendance gouverne les politiques suivies à l’endroit d’un régime dont le pouvoir repose sur le déni sans équivoque des droits humains et démocratiques. Le mouvement syndical suit quant à lui ses propres principes, fondamentalement différents, au nombre desquels figure le principe de solidarité. La question se pose de savoir si les syndicats dans le monde agissent solidairement avec les luttes des travailleurs/euses en Chine.

TanksLes travailleurs/euses chinois/es se sont constitués/es en une force organisée indépendante au sein du mouvement pour la démocratie de 1989, avec la formation des Fédérations autonomes des travailleurs (FAT), qui ont mobilisé les travailleurs/euses pour qu’ils/elles participent aux manifestations et organisent des piquets pour défendre les manifestants de la place Tiananmen. « Nous sommes les piliers du mouvement démocratique » ont déclaré les FAT en mai 1989. Les militants/es syndicaux/ales ont payé le prix fort pour leur engagement ; certains d’entre eux sont toujours en prison ou en camp de travail, 25 ans plus tard.

La Chine a beaucoup changé depuis 1989, mais l’hostilité fondamentale du régime envers les organisations indépendantes est restée la même. La Fédération des syndicats de Chine (ACFTU), aujourd’hui souvent représentée aux réunions syndicales internationales est, en vertu de ses statuts, soumise à l’autorité du Parti communiste chinois au pouvoir.

Les manifestations populaires en Chine n’ont jamais été aussi nombreuses. Les travailleurs/euses organisent régulièrement des grèves et des actions de protestation de masse – en particulier depuis les mouvements de grèves qui ont secoué le secteur automobile en 2010. Des initiatives citoyennes dénoncent courageusement la corruption, les accaparements de terres et les dramatiques pollutions et destructions de l’environnement, le prix à payer pour la répression des droits démocratiques. Le rôle de l’ACFTU est de contenir, pas de questionner ces troubles. Les travailleurs/euses qui entreprennent spontanément une action pour défendre leurs droits, et les droits de la classe ouvrière, enfreignent la loi.

En mai 2013, Wu Guijun, un travailleur migrant employé depuis 9 ans par une usine de meubles de Shenzhen, a été arrêté et placé en détention, tandis que la police cherchait à l’inculper « pour avoir organisé un rassemblement en vue de troubler l’ordre social ». En fait, les travailleurs de l’usine avaient élu un groupe de représentants pour négocier avec l’employeur la fermeture apparente de l’usine et le transfert de la production vers un autre site à l’intérieur du pays. Les travailleurs se sont tournés vers l’ACFTU pour demander une assistance, mais la fédération n’a pas donné suite. Les salariés de l’usine se sont brièvement mis en grève et ont demandé aux autorités municipales d’intervenir. Leurs représentants, dont Wu Guijun, ont été arrêtés.

Les charges retenues contre Wu n’ont été abandonnées que le 9 juin dernier, après plus d’une année en détention durant laquelle il n’a pu avoir aucun contact avec sa famille. A plusieurs reprises, les travailleurs et des défenseurs des droits syndicaux sont venus en nombre assister aux audiences du tribunal. L’UITA a organisé une campagne internationale de solidarité, transmettant des milliers de message aux autorités. L’ACFTU est restée muette.

Wu est resté un an détenu pendant un an dans les locaux de la police pour avoir défendu le droit de grève. Certains acteurs du mouvement syndical international comptent-ils vraiment sur l’ACFTU – qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages exprimés lors des élections de cette année pour représenter les travailleurs au conseil d’administration du BIT – pour défendre ce droit et d’autres droits fondamentaux face aux attaques répétées des employeurs, alors que l’ACFTU ne défend pas ces droits dans son propre pays ?

L’énorme classe ouvrière chinoise a entrepris des actions collectives de masse pour définir et défendre ses intérêts. Ces mouvements se transformeront tôt ou tard en des organisations qui remettront en cause les structures du pouvoir qui sont pour l’instant parvenues à les contenir. Notre rôle est d’apporter un soutien et une solidarité à ces mouvements.

Le 4 juin fait partie de l’héritage commun du mouvement syndical. Les dirigeants chinois comptent sur l’amnésie, et sur la répression, pour maintenir leur pouvoir.

Les syndicats seront-ils perçus par les travailleurs/euses chinois/es, aujourd’hui et à l’avenir, comme des « piliers du mouvement démocratique mondial » ou comme des organisations compromises par leurs liens avec une ACFTU qui continue à faire partie de manière inhérente des structures qui ont brutalement réprimé des travailleurs/euses et des étudiants/es courageux/ses il y a 25 ans ?