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L’austérité récompense l’évasion fiscale des sociétés

21.11.12 Editorial
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Tandis que la Commission européenne, la Banque centrale européenne et la Fonds monétaire international se querellent à propos du nombre précis de travailleurs/euses grecs/ques qui doivent encore perdre leur emploi et du montant des nouvelles réductions des dépenses publiques qui permettraient d’apaiser les investisseurs, certaines des principales sociétés de Grèce quittent le pays pour des paradis fiscaux, aggravant d’autant le manque à gagner des recettes publiques. Coca-Cola Hellenic Bottling Company (CCH), la principale entreprise publique du pays et le deuxième embouteilleur du système Coca-Cola au monde, a annoncé le 11 octobre qu’elle quittait la Grèce pour s’installer en Suisse, dont la fiscalité est plus favorable aux entreprises, et qu’elle serait cotée à la Bourse de Londres (LSE).

Son PDG Dimitris Lois a indiqué au Financial Times « qu’en principe, le gouvernement grec ne devrait pas subir de perte de revenus ». Mais c’est évidemment faux – les impôts sur les sociétés sont plus faibles en Suisse qu’en Grèce, et les transnationales y bénéficient de nombreux autres avantages, dont la possibilité d’être exemptées d’impôts sur les revenus non gagnés en Suisse. Cela n’a aucun sens de prétendre que ce départ n’aura aucun effet sur la contribution de CCH aux caisses de l’État grec.

Selon le rapport annuel 2011 aux actionnaires, CCH a réalisé un chiffre d’affaires de € 6, 85 milliards et versé € 102,7 millions d’impôts. On peut imaginer que CCH, qui est présent dans 28 pays en Europe et en Afrique, fait déjà preuve d’une certaine ingéniosité pour réduire le montant de ses impôts par le biais des prix de transfert et d’un acheminement habile des factures. Ses charges fiscales, en pourcentage de ses bénéfices, ont décliné pendant ces dernières années de crise, mais cela ne l’empêche pas de se lamenter. CCH a donc lancé une offre d'échange d'actions avec une holding Coca-Cola AG récemment créée en Suisse avec un nouveau siège social.

Le jour précédant l’annonce de CCH, l’un des principaux groupes laitiers grecs, FAGE, a également annoncé qu’il quittait la Grèce pour le Luxembourg, où il a créé une société holding en son nom. « Cette restructuration du groupe se base sur notre héritage grec tout en nous permettant d’être plus compétitif sur les marchés internationaux » a indiqué son PDG. Il n’est pas question ici de « partager le fardeau » des épreuves que traverse la Grèce. Pour des raisons fiscales, le célèbre yaourt grec sera maintenant fabriqué au Luxembourg.

Savons-nous quelles seront les répercussions de ce départ sur les impôts payés par le groupe en Grèce ? Nous ne le savons pas, mais nous devrions, là est toute la question.

Des travailleurs/euses de jardins d’enfants et d’écoles maternelles en grève manifestent dans les rues d’Athènes

Peu après le départ de ces géants de l’alimentation pour des paradis fiscaux plus avantageux encore, le journaliste Kostas Vaxevanis a été arrêté et menacé de poursuites judiciaires pour avoir publié les noms de plus de 2000 Grecs fortunés qui détiendraient des comptes bancaires non déclarés à l’étranger. Cette liste, connue sous le nom de « liste Lagarde », parce qu’elle avait été remise il y a deux ans par Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie française (aujourd’hui à la tête du FMI), au gouvernement grec, contient les noms de clients grecs d’une seule banque, HSBC. Elle ne représente qu’une pointe de l’iceberg de l’évasion fiscale. Que l’on sache, les autorités grecques n’ont encore pris aucune mesure concernant cette liste, ou d’autres, qui donne une idée de l’énormité des sommes systématiquement soustraites à l’assiette fiscale du pays.

Pendant que les policiers bastonnent les travailleurs grecs manifestant pour s’opposer aux attaques sauvages contre le niveau de vie, l’élimination de la négociation collective et les réductions massives des services publics, et qu’un journaliste est arrêté pour avoir dénoncé la collusion du gouvernement dans l’évasion fiscale, des sociétés extrêmement rentables sont récompensées – par une entrée dans l'indice FTSE-100 et une hausse de leurs actions – pour leur contribution à la réduction des recettes publiques. Il s’agit là d’une évasion fiscale, non de particuliers, mais des entreprises, ou un d’autres termes de pillage à une échelle gigantesque.

Les syndicats et les groupes de la société civile qui contestent les mesures d’austérité devraient souligner  l’hypocrisie sans limites et l’injustice d’un régime d’austérité qui récompense une criminalité économique massive. Pour commencer, nous devrions avoir notre propre liste Lagarde. Le total des pertes actuelles et futures encourues par les finances publiques lorsqu’une société grecque (ou espagnole,ou portugaise) décide de déplacer son siège social pour réduire son imposition devrait être automatiquement déduit du montant de la dette souveraine administrée par la troïka. Une liste régulièrement mise à jour pourrait ensuite être présentée à Christine Lagarde.