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MF Global – un canari dans la mine de charbon (financière) ?

15.11.11 Editorial
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La faillite annoncée le 31 octobre de MF Global, le courtier américain qui avait les appétits et les ambitions d’une banque d’investissement, a été le huitième plus important dépôt de bilan de l’histoire des Etats-Unis, derrière Lehman Brothers, Enron et Washington Mutual, mais devant le fabricant automobile Chrysler. Et comme dans tous les cas de faillite, les clients tentent désespérément de récupérer leurs fonds, mais des sommes importantes semblent avoir déjà disparu.

Les courtiers sont censés séparer les fonds de leur clientèle des sommes utilisées pour leurs activités en compte propre, mais il apparaît que cette frontière ait été poreuse. Outre une attention marquée des médias, ce soupçon de fraude a amené les autorités boursières à enquêter pour savoir s’il s’agit d'une erreur, ou d'une volonté délibérée d'enfreindre la réglementation.

Il faudra du temps pour éplucher les comptes du courtier, mais là n’est pas l’intérêt de l’histoire. La leçon essentielle à retirer de la faillite de MF Global est à quel point elle prouve que rien n’a fondamentalement changé, malgré tous les appels en faveur de plus de réglementation depuis la grande débâcle financière de 2008. Les mêmes caractéristiques sont à l’œuvre : les énormes effets de levier financier, les subventions gouvernementales à des opérations purement spéculatives, le va-et-vient entre les sphères politiques et financières et la transformation de fonds d’investissement privés en conglomérat financier omnivore.

MF Global était à l’origine le bras de courtage du fonds spéculatif britannique Man Financial, enregistré dans le paradis fiscal des Bermudes – même après son introduction en Bourse. En 2008, des pertes énormes liées aux instruments dérivés sur matières premières a manqué couler le fonds spéculatif. La société de capital investissement J.C. Flowers est venue à son aide au moyen de fonds levés, en partie, auprès des fonds de retraite des fonctionnaires américains.

J. C. Flowers est devenu un acteur financier de premier plan avec le rachat de la banque japonaise Long-term Credit Bank (LTCB), une banque « trop grande pour faire faillite » et gravement endettée à la suite de l’éclatement de la bulle spéculative japonaise, en 1989. LTCB fut ensuite nationalisée et radiée de la Bourse de Tokyo. En 2000, un consortium international mené par J. C. Flowers devenait le principal actionnaire de la banque, renommée Shinsei Bank. Goldman Sachs a de son côté perçu des émoluments considérables pour avoir conseillé le gouvernement japonais au sujet de cette transaction, comprenant une garantie du gouvernement sur 3 ans de rachat des créances douteuses.

Les nouveaux actionnaires majoritaires ont ensuite utilisé cette garantie pour revendre les créances irrécouvrables au gouvernement japonais, pour un montant final de plus de 46 milliards de dollars. En 2004, avec l’introduction en Bourse de la Shinsei Bank, le rendement de l’investissement initial de J. C. Flowers atteignait 600 pour cent, une plus-value pour laquelle le fonds n’a payé aucun impôt à l’État japonais.

En mars 2010, un autre associé de Goldman Sachs, l’ancien PDG Jon Corzine, a pris la tête de MF Global après que sa tentative de réélection au poste de gouverneur du New Jersey a échoué. En février de cette année, Corzine faisait part de son intention de transformer le courtier en une banque d’investissement sur une période de cinq ans. L’instrument de cette transformation serait l’effet de levier – ou l’endettement.

À la fin septembre, le bilan de MF Global affichait 1,23 milliard de dollars de capital pour 41,05 milliards d’actifs – un ratio d’endettement effrayant, similaire à ceux qui ont coulé Bear Stearns et Lehman Brothers. Ce dernier avait parié sur les prêts hypothécaires, Corzine a parié sur les dettes souveraines de la zone euro. Comme les autres institutions ayant fait faillite, MF Global a utilisé les instruments de dérivés pour accroître son levier d’endettement et financé des paris à long terme avec des emprunts à court terme.

En début d’année, Corzine avait pris une position spéculative de 6,3 milliards de dollars sur les pays européens fragilisés, pariant sur le fait qu’ils feraient l’objet d’un plan de sauvetage et que leurs obligations reviendraient à leur valeur nominale. En même temps que se dégradait la valeur liquidative de MF Global, le courtier a dû faire face à des demandes de plus en plus pressantes de nantissements en espèces, demandes qu’il ne pouvait honorer parce que les plans de sauvetage européens ne sont pas intervenus suffisamment tôt. Il s’agit là d’une répétition du scénario qui a coulé l’assureur AIG. Lorsque le gouvernement américain a renfloué AIG, Goldman Sachs a été remboursé en totalité pour les paris faits par l’intermédiaire de l’assureur.

MF Global ne peut pas bénéficier d’une aide du gouvernement fédéral, parce que ce n’est pas une banque de dépôts. Mais son principal client, JP Morgan, y a droit.

Plus ça change, plus c’est la même chose.

La finance mondiale reste dépendante d’effets de levier stratosphériques, tout en profitant du va-et-vient par lequel les élus et les autorités de réglementation sont impossibles à distinguer de ceux qu’ils sont censés réglementer. Le président actuel de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), l’un des organismes chargés de la surveillance de sociétés comme MF Global, a renoncé à participer à l’enquête sur les fonds manquants de MF Global en invoquant un conflit d’intérêt. Il travaillait avec Corzine chez Goldman Sachs…

La faillite de MF Global laisse-t-elle présager d’autres dépôts de bilan, plus importants ? Sans doute. Mais la qualifier de canari de la mine de charbon financière dessert la mine de charbon. Malgré ses nombreux dangers, le charbon est une source d’énergie. On ne peut en dire autant des dérivés de crédit sur la dette souveraine.

Les tentatives désespérées de sauvetage des obligations d’État européennes n’ont jamais eu pour objectif de soutenir les services et les moyens d’existence, mais uniquement de renflouer les investisseurs qui achètent des emprunts obligataires à une fraction de leur valeur nominale et perçoivent le versement d’intérêts astronomiques. Alors que les services publics sont démantelés et que le taux de chômage progresse partout, des flux de capitaux sans précédent continuent à être investis dans des instruments créés dans un seul but : garantir des revenus constants pour les investisseurs. Si MF Global avait gagné son pari, aucun/e travailleur/euse, nulle part, ne s’en serait mieux porté. Mais gagnant ou perdant, nous payons.